D’un château l’autre, Louis-Ferdinand Céline – 1957 – Ed. Folio, 404 p.
21-13
Le premier roman que j’ai classé pour mon été 2021 est, sans surprise pour ceux qui commencent à me connaître, un livre de Céline. Je reste fascinée par la magie de son écriture saccadée, essoufflée, qui nous transporte dans l’univers compliqué de l’éternel insatisfait qu’était cet écrivain. D’un château l’autre est considéré comme un de ses chefs d’œuvres avec Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit.
Ce roman est une confession de l’écrivain qui se regroupe en deux parties. La première, au jour de l’écriture du roman par Céline, se passe dans sa maison à Meudon. Il est détruit par les accusations de la guerre, dépossédé de certains manuscrits à la suite d’un cambriolage et il tente de gagner sa vie comme il peut en tant que médecin d’une clientèle qui le fuit. La deuxième partie se passe au château de Siegmaringen où le gouvernement de Pétain s’est réfugié et a envahi le domaine.
Résumé
Céline se livre sur la colère qui l’habite. Il se livre sur les accusations qui l’ont terni pendant la Seconde Guerre mondiale (notamment son implication dans la livraison des plans de la ligne Maginot aux allemands). Ses pensées le mènent à Siegmaringen où il a vécu et soigné le gouvernement de Pétain. Ce passage d’un château (son domicile à Meudon) à un autre (le château de Siegmaringen) nous plonge dans les confessions d’un Céline dépité et en colère.
Une vie à Meudon insatisfaisante
Céline vit à Meudon avec sa femme où il exerce la profession de médecin. Sa situation est compliquée et il s’en plaint ouvertement. Sa clientèle ne souhaite plus être soignée par lui à l’exception de la fidèle Mme Niçois. Comme il le souligne lui-même, qui voudrait d’un médecin qui ne possède même pas sa propre voiture ?
La réputation de Céline a été fortement ternie. En dehors de sa clientèle qui ne fait plus appel à lui, des affiches le répriment et le traitent ouvertement de pornographe et de raciste. En parallèle, il bataille avec ses éditeurs qui ne le trouvent plus suffisamment drôle pour l’éditer. Il nourrit une haine envers les célèbres Tartre (Jean-Paul Sartre), Larengon (Louis Aragon), André Malraux… Eux sont publiés et sont les écrivains de référence de l’époque. Céline, quant à lui, est parti dans l’ombre.
Il a du mal à rédiger des romans, son éditeur les trouve moins drôles qu’avant : il voudrait que Céline lui rapporte de l’argent et que ses romans se vendent. Face à cela, Céline nourrit la colère d’avoir été cambriolé lorsqu’il avait quitté la France. Lors de cet évènement, certains de ses manuscrits lui ont été volés (dont un roman complet. Ces manuscrits ont d’ailleurs été retrouvés en août dernier). Rien ne va pour l’écrivain.
Et puis, un jour qu’il soigne Mme Niçois, il tombe malade et de son esprit s’échappent des souvenirs au château de Siegmaringen…
A Siegmaringen avec le gouvernement de Pétain
Céline a été affecté en tant que médecin au château de Siegmaringen, à Hohenzollern. Y résident le gouvernement de Pétain ainsi que l’élite collaborationniste. Ces habitants sont bien nourris malgré la famine qui touche les pays en guerre, d’une certaine manière sont épargnés. Certains rêvent de s’échapper, de partir à la frontière Suisse, mais ceux qui le tentent reviennent à leur point de départ où ils sont punis par la violence des gardes.
Le château de Siegmaringen accueille également des rescapés qui ont été en première ligne lors des combats et qui ont vécu des atrocités. La cohabitation devient compliquée entre les résidents, qui sont protégés et bien nourris, et les rescapés qui ont été au plus près de l’horreur de la guerre.
Céline y côtoie des figures connues du régime de Vichy : Pétain, Pierre Laval, Otto Abetz, Fernand de Brinon, Jean Bichelonne, Alphonse de Châteaubriant… Il les soigne et échange avec eux.
Mon avis sur l’œuvre
Le roman de Céline nous offre plusieurs anecdotes sur le gouvernement de Pétain et son fonctionnement. Un gouvernement dépassé, qui vit dans la terreur et la panique car la guerre n’épargne personne. Céline y est médecin et il y écoute les idées et divagations des résidents. Céline écoute, acquiesce, essaie de se faire discret.
La vie à Siegmaringen n’est pas tous les jours facile. Mais nourris et logés, les « habitants » du château de Siegmaringen sont parfois déconnectés des atrocités de la guerre. Lorsque des rescapés, qui se sont battus sur le terrain, sont rapatriés au château, le choc est terrible. L’état dans lequel arrivent ces soldats est incomparable à celui, épargné, des locataires de Siegmaringen.
Ce roman est également un beau témoignage des pensées de Céline à la fin de sa vie. Détruit par les rumeurs qui ont couru à son sujet, par la collaboration qu’il a faite avec les Allemands, par ses pamphlets ouvertement antisémites, le peuple ne veut plus de lui. Il se retrouve délaissé, perd de sa superbe, son talent n’est plus suffisant pour effacer les images qu’ont de lui les Français.
Conclusion
Ce roman est une très belle œuvre de Céline. Il constitue un témoignage de ses années passées avec le gouvernement de Pétain, ainsi que de plusieurs années plus tard où il peine à gagner de l’argent tant en tant que médecin qu’en tant qu’écrivain. Ce roman est une suite sur le parcours de cet écrivain talentueux, qui nous raconte sa fin de vie bien moins glorieuse que celle qu’il aurait pu avoir s’il n’avait pas ouvertement exprimé ses idéologies antisémites.