Cahiers de prison Février-Octobre 1946, Céline – 2019 – Ed. Gallimard, 220 p.
22-02
Cet ouvrage traîne depuis maintenant quelques années dans ma bibliothèque. J’étais impatiente de le lire car ces cahiers de prison permettent de rentrer dans l’intimité de l’écrivain. Emprisonné au Danemark, la France le réclame pour trahison. Nous sommes en 1946, les européens souhaitent faire payer les nazis et tous ceux qui ont collaborés aux atrocités de la guerre. Les prises de position de Céline l’ont clairement rendu suspect, et la France veut lui faire payer ses actes.
Comme il est impossible de résumer les cahiers de prison, cette chronique va se présenter sous une forme inhabituelle. Je vais principalement vous présenter Céline, le personnage qu’il était (qui lui a notamment valu de se retrouver en prison). Puis je vous parlerai de ce que ces cahiers nous apportent en tant que lecteurs.
Céline traumatisé de guerre
Céline, né Louis Ferdinand Destouches, est un écrivain français. Soldat pendant la Grande Guerre, il sera blessé au bras. Cette époque tragique traumatisera le jeune Destouches qui avait, au moment de son entrée chez les militaires, moins de vingt ans. La mort, la violence et la terreur seront souvent sujets de ses romans dans lesquels il relate, de façon romancée, ses expériences. Détruit par ses souvenirs, Céline portera l’enfer des séquelles de la guerre sur sa peau.
Ce garçon a grandi au milieu de la propagande anti-juive qui se développait déjà avant-guerre. Cet environnement le pousse à considérer le Juif comme fautif de la guerre qui n’aurait pas eu lieu s’ils s’étaient faits « plus discrets ». Embrigadé dans sa colère, Céline écrira ses premiers pamphlets ouvertement antisémites en 1937 et 1938. A partir de là, ses écrits seront utilisés comme propagande par le parti nazi : un écrivain dont les œuvres sont universelles, connu pour un avoir un style qui rassemble une large part de la population française, et qui exprime sans filtre ses pensées antisémites. Ces écrits entraineront justement la perte de Céline, tant dans sa réputation d’homme que dans sa réputation d’écrivain.
Un exil raté
Lorsque la Seconde Guerre mondiale se termine, les pays souhaitent venger les victimes et punir les traitres qui ont inhumainement autorisé et encouragé les actes nazis. Céline est rapidement mis dans le viseur de la France. Les pamphlets sont connus et certaines accusations le dénoncent comme ayant facilité les actions nazies sur le territoire français (notamment la transmission de documents confidentiels).
Céline prend la fuite avec Lucette, sa compagne, et Bébert, leur chat. Ils arrivent au Danemark où ils espèrent trouver refuge mais se font vite rattraper. Enfermé, Céline clame son innocence, dénonce une incompréhension dans les faits qui lui sont reprochés et qui auraient été mal interprétés. Face aux accusations, il risque l’exécution. Il demande à pouvoir écrire, et poursuit certains de ses romans qu’il avait abandonnés en France. Il développe ses arguments et essaie de se défendre face à l’évidence. Réclamé par la France pour trahison, Céline n’a plus que sa plume pour le garder en vie.
Les écrits de prison
Les écrits de Céline sont très riches. Nous traversons parfois les décennies pour le rejoindre dans sa cellule, où il tente de rédiger sa défense. Pour lui, il n’a rien fait de plus que les autres, il voulait juste la paix. Il considère certaines accusations fausses dont notamment celle le dénonçant comme ayant fait partie d’organisations nazies. Parce que des juifs, il s’en fiche lui. Et puis, les autres qui ont fait pire, pourquoi sont-ils protégés par certains pays ? Pourquoi lui, dont les actes mineurs et parfois involontaires sont dénoncés, devrait-il risquer la mort ? Pourquoi pas eux ?
Céline est (constamment) dans l’auto-pitié. Désespéré, seul, le monde s’acharne contre lui, lui qui n’a rien demandé à part être tranquille. Car il faut le rappeler, c’est pour la France qu’il se bat ! Il est mutilé de guerre, il a combattu pour son pays. Et c’est comme ça qu’on le remercie !
Pour s’évader, Céline écrit. En plus de sa défense, il écrit la suite de Guignol’s Band et de Féérie pour une autre fois. Il écrit des suites de noms, de lieux, des essais de titres. Il radote, il se plaint, il désespère de sa situation et s’accroche à Lucette, à Bébert.
Mon avis sur l’œuvre
Les écrits de prison ne sont pas faciles à suivre lorsque nous n’avons pas lu les romans de Céline. Ayant lu Féérie pour une autre fois, j’ai reconnu certains passages que j’ai pu mettre dans le contexte du roman définitif. N’ayant pas encore lu Guignol’s Band, les passages ont été un peu plus flous. Néanmoins, nous sommes plongés dans l’univers de Céline, retranscrit ici sans aucune correction, son l’œuvre à l’état brut.
Pour ce qui est des passages de défense que Céline écrit dans l’espoir d’être acquitté, le désespoir de l’homme est omniprésent. Lui qui méprisait les juifs et qui a écrit des textes atroces et inhumains pour suivre une certaine mode, un mouvement de groupe, se retrouve totalement seul. Son pays veut sa peau, son éditeur a été assassiné. Il ne reste plus que quelques personnes qui croient en lui, mais elles ne sont pas nombreuses.
Cet homme en colère, insatisfait, roublard, est en réalité enfermé dans une incroyable solitude. L’a-t-il cherchée ? Dans tous les cas, Céline était un écrivain talentueux dont ses cahiers de prison font certes ressortir son hypocrisie, mais aussi son désespoir et le malheur dans lequel les guerres l’ont entraîné.
Conclusion
Céline a été enfermé pendant plusieurs mois au Danemark. La France réclamait qu’il lui soit livré car il était recherché pour trahison. A travers ses écrits de prison, nous sommes plongés dans les années sombres de Céline. De ses arguments pour être acquitté à des tentatives d’écrits pour Féerie pour une autre fois et Guignol’s Band, nous suivons les pensées intimes de cet écrivain qui réussit à travers ses cahiers à faire ressortir une part de son humanité.