La goûteuse d’Hitler, Rosella Postorino – 2018 – Ed. Albin Michel, 382 p.
20-25
Rosella Postorino est une écrivaine italienne. Peu connue en France, elle a fait un carton avec la sortie de son livre La goûteuse d’Hitler. Alors qu’elle lisait dans un journal l’histoire d’une des goûteuses d’Hitler, l’écrivaine s’est décidée à essayer d’écrire du mieux possible l’histoire de ces femmes, toutes décédées lorsqu’elle s’est engagée dans ce projet. Car en effet, Hitler avait à sa disposition une dizaine de goûteuses qui étaient payées pour manger les repas qui devaient lui être servis, le but étant de s’assurer que les plats n’étaient pas empoisonnés.
Dans cette histoire pleine de rebondissements, Rosella Postorino, traduite ici par Dominique Vittoz, nous fait traverser les destins de ces femmes attachantes, confrontées à ce qui était à la fois un privilège et une malédiction.
Résumé
Rosa a quitté Berlin pour rejoindre la Prusse Orientale. Gregor, son mari, est parti à la guerre. Dans cette région, elle va ainsi rejoindre ses beaux-parents qui l’hébergeront et la traiteront comme leur propre fille. Mais un jour, un SS vient frapper à la porte. Sans explication, il annonce qu’il reviendra la chercher.
Tenant sa promesse, un car revient le lendemain pour l’emmener. Sans savoir quel sera son sort, elle se retrouve entourée d’autres femmes. Leur nouveau travail sera de goûter les plats avant qu’ils soient transmis au Führer afin de s’assurer que les aliments ne sont pas empoisonnés.
Un destin effrayant ayant une odeur de privilège
Rosa rencontre ses nouvelles compagnes d’aventure. « Pas de nazis dans ma famille » disait son père. Pourtant, elle ne peut échapper à son destin et ne peut qu’être un des boucliers d’Hitler au risque d’être assassinée par un SS.
Payée pour se nourrir, c’est un privilège. En pleine guerre, les ventres crient famine et les estomacs ne sont plus habitués à se remplir, à atteindre la satiété. Et puis, il y a la peur. La peur de tomber sur le poison, de mourir raide dans cette salle, au milieu d’inconnues et des agents d’Hitler. Car chacune tient à sa vie, chacune de ces femmes veut se battre pour vivre. Se nourrir en est d’ailleurs un des meilleurs moyens.
Chacune tient à sa vie mais Rosa va rapidement perdre courage. Son père est mort, sa mère a succombé au bombardement de leur logement à Berlin, son frère a disparu de la circulation et ne donne plus aucune nouvelle. Le seul bonheur de Rosa tient à Gregor, eux qui sont jeunes mariés depuis une petite année.
Pourtant, le destin de Rosa et de leur couple va rapidement s’assombrir. Parce que Gregor a disparu. Il n’est pas annoncé comme « mort » par les militaires, simplement disparu. Impossible de savoir s’il est mort ou vivant, disparu oui mais où ? Rosa en est certaine, Gregor n’existe plus.
Des destins qui se mêlent
Rosa est désemparée par l’annonce de la disparition de son mari. Elle se rapproche de certaines goûteuses, les autres seront nommées les Enragées. Elfried, Leni, Ulla, Beate, Heike… Ces femmes dont les destins sont liés par la peur indescriptible de mourir en répondant au besoin vital de se nourrir.
Mais Rosa ne se mêlera pas uniquement aux autres goûteuses. Seule, certaine que son mari n’est plus, elle va se rapprocher de l’Obersturmführer Ziegler. Cet homme, qui fait trembler les filles par sa présence, qui a le pouvoir de pointer son arme et de leur tirer dessus, celui qui régit l’organisation de la caserne, les terrifie.
Ziegler commencera par rejoindre Rosa toutes les nuits pour regarder à travers sa fenêtre. Croyant dans un premier temps qu’il souhaite sa mort, Rosa s’effraie de cette présence. Petit à petit, elle s’adoucit et finit par attendre l’arrivée de Ziegler chaque nuit comme une enfant, le cœur battant à mille à l’heure. Jusqu’au jour où elle sort et l’attire dans la grange.
Un amour interdit
Ici naît une histoire d’amour. Une histoire qui lie deux personnes diamétralement opposées. Un homme qui se dévoue à la cause de la dictature et qui se place en grade d’Obersturmführer pour protéger le Führer. Et une jeune femme qui a souffert de la guerre, qui a tout perdu et qui n’a jamais partagé les idées du parti qui contrôle son pays.
Pourtant, sous la pression, la terreur, l’épuisement, la souffrance ces corps se rapprochent et s’échangent de la tendresse. Un besoin terrible de se faire désirer secoue ces femmes dont les hommes sont partis se battre au front.
Cette histoire d’amour est interdite, à tel point que Rosa ne peut l’avouer à personne. Mais cet amour qui naît entre eux lui apporte la seule source de bonheur, de réconfort nécessaires à sa survie. Chaque nuit, le regard de cet homme, ses caresses, sa présence rassure Rosa. Leur histoire sera secouée par le destin du parti et par la nécessité de fuir rapidement le territoire face à l’arrivée imminente des Russes.
Mon avis sur l’œuvre
Je ne peux avancer plus dans la description de l’œuvre au risque de détruire les secrets de cette magnifique histoire. Rosella Postorino décrit avec beaucoup de succès une part de l’histoire peu racontée de la Seconde Guerre Mondiale.
Je trouve que l’écrivaine est très talentueuse. Les sujets abordés sont délicats, l’histoire d’amour entre un nazi et une jeune allemande, l’alliance interdite, est décrite avec respect et une certaine part de réserve. L’histoire entre les deux protagonistes est déconcertante, révoltante, mais également émouvante et attachante.
Outre ce sujet qui n’est pas des plus simples à traiter, la narration de Rosella Postorino est très bien réussie et nous plonge dans le destin de ces femmes avec beaucoup d’émotions. Des destins tragiques, victimes d’une guerre injuste, utilisées pour la survie de celui que la majorité considéraient comme leur ennemi.
J’ai aimé rencontrer cette part d’histoire dont j’avais entendu très brièvement parler. Avec du recul, nous pouvons (essayer d’) imaginer cette douleur qui secouaient ces femmes, goûteuses obligées de goûter, pour qui chaque bouchée pouvait mettre fin à leur existence. Une peur constante, frôlant la mort plusieurs fois par jour. Des émotions bouleversantes, mais qui nous rapprochent d’une réalité à ne pas oublier.
Conclusion
Rosella Postorino est une écrivaine italienne qui a rédigé d’autres œuvres mais qui a été traduite en France pour la première fois avec cette œuvre. Ceci m’encourage à acheter ses autres livres en italien ! J’ai été très agréablement surprise par cette histoire, fruit d’une écrivaine inconnue au bataillon mais qui mérite à être connue. Un livre très intéressant et puissant, que je conseille vivement.