La Serpe, Philippe Jaenada – 2017 – Ed. Points, 635 p.
20-22
Je ferme La Serpe. Doucement, avec un sourire aux lèvres. Un mélange d’excitation, qui précède la lecture d’un livre qui m’a envoûtée, et de tristesse, car je quitte ainsi le monde de Jaenada et son aventure de détective amateur. La Petite Femelle m’avait captivée, La Serpe a suivi le même chemin. Pas un instant je n’ai été déçue par cette histoire, par l’humour de l’écrivain, l’intelligence d’une histoire parfaitement menée. Mais commençons pas le commencement.
Philippe Jaenada est un écrivain français. Je ne suis pas très familière avec ses œuvres, j’ai lu La Petite Femelle, dans lequel nous accompagnions Pauline Dubuisson dans sa descente aux enfers. Cette jeune femme, dont l’histoire a réellement existé, est accusée du meurtre de son compagnon et a subi ce qu’on peut appeler un procès injuste. Dans La Serpe, deuxième roman que je lis de l’écrivain, nous accompagnons Henri Girard qui est accusé du meurtre de sa tante, son père et sa bonne dans le manoir familial. Une histoire vraie, accompagnée des multiples recherches de l’écrivain pour essayer de trouver la vérité sur ce grand mystère. Un délice, une pépite.
Résumé
Le meurtre du château d’Escoire en 1941 a beaucoup fait parler de lui. Henri Girard, son père Georges, sa tante Amélie et sa bonne se retrouvent dans leur château familial. Cette nuit-là, ces trois derniers sont sauvagement assassinés à coups de serpe. Le meurtrier est rapidement désigné : c’est Henri. Aucune trace d’effraction, aucune entrée possible, Henri est le seul survivant et ne peut qu’être l’assassin.
Des relations soi-disant tendues
Henri Girard, qui sera connu plus tard sous le pseudonyme de Georges Arnaud, est un jeune garçon qui fait face à des difficultés. Immédiatement, nous sommes plongés dans le récit tel qu’il est perçu par les habitants du village. Plusieurs années après le drame, les personnes témoignent. Henri Girard avait des relations tendues avec sa famille et notamment avec sa tante.
En effet, jeune homme qui ne savait que faire de ses dix doigts il finançait ses déboires avec l’argent que sa famille acceptait de lui envoyer. Et puis, un amour apparaît, un mariage se produit, les tensions s’amplifient. Annie n’est pas acceptée, elle est de mauvaise influence sur Henri. Les disputes s’accumulent, les relations se tendent dans la famille Girard.
Henri Girard aurait donc eu un motif de tuer ainsi, aussi sauvagement, les membres de sa famille. Pour récupérer l’héritage, pour se venger et mettre fin à ces sentiments de frustration et de colère qui le minent. Et pourtant, alors que nous ne nous y attendons pas, après plusieurs mois d’enfer en prison il est acquitté.
Des tensions et puis finalement, pas tant que ça…
Philippe Jaenada est partie intégrante de son histoire. Il cherche, plus de sept décennies plus tard, à découvrir ce qui est réellement arrivé aux victimes, à comprendre qui était réellement Henri Girard. Nous suivons son parcours, ses anecdotes, ses pensées, et parfois ses retours sur l’affaire Pauline Dubuisson.
En épluchant les dossiers de police, les différentes archives et témoignages qui sont à sa disposition, il réalise qu’Henri Girard ne ressemble pas vraiment l’homme décrit. Les relations avec sa tante étaient loin d’être aussi mauvaises, la relation qui le liait à son père semblait emplie d’affectuosité et de tendresse.
Mais comment a-t-il pu être désigné comme l’assassin de ses proches ?
Un château sans issue
La raison première qui dirige les enquêteurs sur Henri Girard est que le château était fermé à clefs et qu’aucune trace d’effraction n’a été trouvée sur les lieux. Il était donc impossible pour une personne extérieure de s’introduire à l’intérieur du château.
Henri, qui dormait à l’étage, n’a rien entendu du violent massacre qui se réalisait au rez-de-chaussée. L’arme du crime, une serpe, a été retrouvée près d’une des victimes, enroulée dans un drap. L’état de ces dernières est atroce et résulte d’une colère, d’une haine sans mots, représentation d’une violence insoutenable.
Le problème, c’est qu’aucune entrée n’était accessible de l’extérieur, aucune porte n’était ouverte, aucune issue n’est possible sans tentative d’effraction. Le tueur ne pouvait que se trouver à l’intérieur du château. S’ensuit une enquête complètement dingue, des découvertes aberrantes, des preuves (à nouveau) d’une enquête inéquitable, partiale.
Mon avis sur l’œuvre
Je passe rapidement sur la partie d’explication de l’œuvre, car si un mot de plus sort de mon texte, je risque de spoiler toute cette aventure. Car c’en est bien une, d’aventure, que nous suivons ! Jaenada se transforme à nouveau en détective, et cherche à faire ressortir le vrai de toute cette histoire. A nouveau, Jaenada transmet un témoignage de respect pour ceux qui ont disparu aujourd’hui et dont l’image a été fortement ternie.
J’avais adoré La Petite Femelle, et j’ai ressenti le même bonheur avec La Serpe. J’ai ri, mais que j’ai ri ! L’humour de Jaenada parcourt les pages et nous décroche des sourires, parfois des fous rires, en plein milieu de scènes dramatiques. Les enquêtes menées par l’écrivain sont si intéressantes, réelles. Nous vivons à travers leurs parcours avec l’écrivain.
Jaenada s’attache à ses personnages, qui pourtant ne sont pas le fruit de son imagination. Il nous transmet rapidement cet attachement. Henri, ce garçon détestable, a rapidement gagné ma compassion. Je l’avoue, je n’avais jamais entendu parler de l’histoire du meurtre du château d’Escoire. Mais aujourd’hui je suis plus familière avec ce drame qui s’est joué dans notre pays.
Un assassinat violent, à coup de serpe, un acte de destruction barbare. Il en faut, de la folie, pour assassiner ainsi des Hommes (et lorsque ce sont des membres de sa propre famille, n’en parlons pas…). Jaenada a suivi la piste de l’enquête, s’est ramené dans le village d’Henri à bord de sa Meriva de location, et a cherché à faire ressortir la vérité.
La vérité, une vérité, sa vérité. Car en effet, Henri a été acquitté et les différentes parties de l’époque sont presque toutes décédées aujourd’hui. Faire ressortir la vérité à travers des archives, des documents consignés, des preuves qui ont été parcourues à l’époque, ce n’est pas évident. Et pourtant, ce qu’on découvre nous étonne parfois d’évidence. Pourquoi est-ce que la police n’a pas vu ces indices ? Ou plutôt, pourquoi a-t-elle décidé de ne pas les voir ?
C’est ici que se termine notre réflexion. Il est impossible aujourd’hui de faire parler les morts, impossible de comprendre réellement ce qui a poussé un tel acharnement sur Henri. Déduire, c’est ce que fait Jaenada. Nous ne saurons jamais si cette déduction est la représentation (quasi-)exacte de ce drame. Néanmoins cette démonstration, qui tient très bien la route, nous convainc.
Conclusion
Que d’émotion à la fermeture de ce livre ! Deux livres de l’écrivain ai-je lus, deux livres que j’ai coché dans mes favoris. Après avoir lu Madame S dont le style m’avait rappelé Jaenada, j’ai voulu me plonger dans La Serpe, rejoindre à nouveau une époque dans laquelle je ne fais pas partie, pour découvrir les destins brisés de notre population.
L’humour, l’art de narration de l’écrivain, m’emportent. J’adore, j’ai adoré, je voudrais y retourner tout de suite. Mais pour le moment, je dois dire au revoir à ce livre qui m’a marquée. Il ne me reste plus qu’à acheter Sulak pour retrouver le monde si typique de Jaenada.