Les mangeurs d’étoiles, Romain Gary – 1966 – Ed. Folio, 440 p.
20-04
Récemment je lisais Romain Gary s’en va-t’en guerre de Laurent Seksik et j’en apprenais un peu plus sur cet homme, né Roman Kacew, sur la relation particulière qu’il entretenait avec sa mère mais également avec son père, dont l’absence a créé un vide dans le cœur de cet enfant. C’est avec plaisir que j’ai ouvert Les mangeurs d’étoiles, le deuxième roman que je lis de cet écrivain talentueux qu’était Romain Gary. Après avoir été nommé consul général de France à Los Angeles, Romain Gary rédigera deux nouvelles ainsi que son œuvre La Comédie Américaine (2 tomes). Les mangeurs d’étoiles, premier tome de l’œuvre, a été rédigé par l’écrivain en prenant pour inspiration une mission qui lui avait été confiée en Bolivie, à La Paz. Elle nous plonge dans l’esprit d’un dictateur fou, dont les décisions sont le reflet de son impulsion, trainées par des croyances tribales et des peurs obsessionnelles.
Résumé
José Almayo est issu d’une tribu indienne, probablement des Maya. Ayant grandi dans la misère, la pauvreté et la sous-nutrition ont laissé des traces dans l’esprit de cet homme dévoré par une obsession : faire quelque chose de sa vie, bénéficier de la protección. Eduqué par des religieux, il décide de se tourner non plus vers Dieu, mais vers le Diable. Car celui qui règne sur la Terre, c’est bien lui. Pour cela, il mettra tout en œuvre pour exécuter les actes les plus impardonnables pour Dieu, ceux qui lui permettront d’acquérir la protection suprême du Diable.
Mon avis sur l’œuvre
Le docteur Horwat fait partie des passagers d’un Boeing qui l’a mené en Amérique Centrale pour rencontrer José Almayo. Il apprend que les autres passagers, principalement une troupe de saltimbanques, sont également des invités du dictateur. Ils le font rêver. Ils sont venus effectuer leur plus belle prestation, ils se considèrent les meilleurs dans leur métier. Le convoi est mené en autocar sur une route déserte jusqu’à ce que la police les arrête et leur demande de se réunir dans le café au bord de la route. Au sein des passagers, deux invités importants : la mère d’Almayo et sa petite-amie américaine. Soudainement, le policier reçoit l’ordre impensable d’Almayo : fusiller tous les passagers.
Horwat se retrouve donc à échanger avec la petite-amie américaine sur le passé de cet homme. Elle l’aime, c’est une certitude, et c’est avec la tendresse d’une amante qu’elle raconte, pour ce qui semble être leurs dernières heures, la folie d’Almayo. Les croyances tribales, la superstition, l’oppression qu’il a subie, l’échec, la honte. Tous ces sentiments et évènements qui ont fait de lui ce dictateur.
Si quelqu’un venait vous demander ce qui ferait le plus plaisir au Diable, que lui diriez-vous ?
Almayo interroge le prêtre qui l’a accompagné durant son enfance, et en qui il a une extrême confiance, sur les pêchés impardonnables. C’est après avoir énuméré l’inceste, le crime envers un membre de sa famille, que le prêtre ajoute le crime envers un représentant religieux. C’est ici qu’Almayo effectue son premier pêché et qu’il assassine le vieillard d’un coup de pistolet dans la tête.
Le dictateur est fou et son obsession le pousse dans les recoins les plus sombres de sa personnalité. Sur fond d’une atroce souffrance, il s’égaie des meurtres et autres crimes qu’il réalise, ces derniers étant la clef pour la protection ultime du Diable. Cette protection est nécessaire à sa montée en puissance. Il veut devenir quelqu’un. Après un échec humiliant en tant que torero, Almayo décide de se lancer dans la politique.
Nous observons clairement l’engrenage dans lequel se trouve Almayo. La colère, les inégalités, les années d’oppressions vis-à-vis des tribus indiennes où les blancs ont représenté le pouvoir, ont créé ce tyran, cette bombe à retardement. José devient puissant parce qu’il est craint. Aucun crime n’est trop atroce s’il lui permet d’obtenir le pouvoir. Peu importe s’il doit faire assassiner sa mère ou sa petite-amie. La satisfaction qu’il ressent, la manière qu’il a de se persuader qu’il fait ce qui est nécessaire, est glaçante. La haine dicte ses actes.
Nous avons la présence indispensable de la petite-amie américaine. Elle rencontre Almayo dans un bar, après avoir été abusée sexuellement par un chauffeur de taxi. Très sympathique comme rencontre. Cette jeune fille est rêveuse. Elle aussi, elle souhaite améliorer la condition des populations d’Amérique Centrale, elle veut se réaliser en offrant un peu de sa puissance Américaine, de son influence, pour les pauvres. Elle s’allie avec Almayo et prend rapidement de l’emprise sur lui. Elle en joue, et comprend que cette influence pourra la mener loin. Elle le menace souvent d’aller prier pour lui et d’obtenir la rédemption de son âme auprès de Dieu, et observe que ceci le plonge dans des colères noires. Par ses manipulations, elle obtient de lui la construction de nombreuses structures qui ont pour objectif de permettre à ce pays sous-développé de se construire et de rattraper son retard.
La théorie d’Almayo est très intéressante, mais malheureusement développée dans un très mauvais contexte. Selon lui, l’homme n’est pas ce qu’il semble être, il peut se surpasser. Les saltimbanques sont l’expression de ce sentiment, l’homme qui réalise des tours qui semblent impensables, qui vont au-delà du possible. Durant toute l’œuvre, Almayo sera porté par ce rêve de rencontrer le saltimbanque le plus puissant du monde.
Cette histoire mêle manipulation, folie, rêve. Almayo prend des décisions sous la manipulation de son amante, sous les croyances issues de sa tribu ainsi que par son admiration pour Hitler (à qui il se comparera à de multiples reprises à la fin du roman). Elles sont économiquement irrationnelles et moquées par le peuple. Cet homme peu éduqué prend des décisions et utilisent les fonds de l’Etat pour participer à des constructions qui ne représentent pas la priorité dans un pays sous- développé. C’est un coup d’état raté et la déchéance d’un homme qui perd petit à petit le pouvoir que nous observons.
Cette histoire est merveilleusement bien écrite, les réflexions politiques sont très intéressantes et nous présentent un Gary politiquement cultivé ! Son expérience en Amérique Centrale a permis la création de ce roman prenant, haletant, qui m’a complètement convaincue. Il nous décrit une époque où les dictateurs étaient très présents sur la planète, notamment en faisant référence à Hitler et à Staline. Nous sommes plongés dans les risques d’inégalités trop importantes marquées entre les nations, la montée politique d’un homme ignorant et fou. Cette réflexion est très intéressante, mais également inquiétante et malheureusement toujours d’actualité près de soixante ans après sa sortie.
Conclusion
Romain Gary est, sans surprise, un écrivain incroyablement talentueux. Je ne peux m’empêcher de me dire que, même s’il a enfreint les règles, il méritait ses deux prix Nobel ! Son écriture est magique et prenante, et c’était très agréable de se plonger dans un récit qui traite de la politique étrangère. La découverte des coutumes des tribus indiennes était super intéressante. Nous ne les oublierons pas, ces mangeurs d’étoiles ! 😊