Libres d’obéir : Le management, du nazisme à aujourd’hui, Johann Chapoutot – 2020 – Gallimard, 142 p.
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Hitler est entré au pouvoir en Allemagne en 1933 où il instaura une dictature totalitaire qui plongera les pays dans la terrible et inoubliable Seconde Guerre mondiale. Raciste, antisémite, Hitler a réussi à imposer à son peuple une idéologie terrifiante. Il a mis en place d’atroces massacres, sans que son autorité ne soit remise en cause. Une autorité dirigée par la peur et fondée sur la soi-disant liberté des individus.
L’analyse des méthodes utilisées pour diriger son peuple, convaincre son entourage de la supériorité de la race aryenne, manipuler par la force de son charisme, est indispensable pour comprendre ce qui a dérapé. Johann Chapoutot nous livre dans cet essai une passionnante analyse du management nazisme, et son impact sur notre société actuelle.
Résumé
Hitler prend le pouvoir en Allemagne en 1933. Légalement élu, son charisme l’a porté à la tête de son pays. Pourtant, derrière tout cela existait déjà Mein Kampf, traduit en français par Mon combat. Cet ouvrage ouvertement antisémite et raciste développait déjà les idéologies du parti nazi (le NSDAP). Comment a-t-il convaincu son peuple de se mettre à son service, de lui faire confiance et de créer à ses côtés le IIIe Reich ?
Une Allemagne qui tente de se reconstruire après la Grande Guerre
La Grande Guerre se termine et l’Allemagne a perdu. Cet échec, les Allemands vont le garder en travers de la gorge. Hitler le sait, le pays est dévasté, la crise économique y est terrible. Les Allemands font de longues études et se retrouvent sans emploi. Ces « surdiplômés » sont recrutés par le parti nazi. Hitler leur offre une perspective d’emploi, face au chômage auquel ils seraient confrontés sans cette « opportunité ».
Dès le début de son mandat, Hitler et son gouvernement mettent en place de nombreuses lois qui plongent progressivement le pays dans la déroute naziste.
- En 1933 : Loi sur la restauration de la fonction publique allemande qui exclut les ennemis politiques et les juifs.
- En 1935 : Lois de Nuremberg avec notamment la redéfinition de la citoyenneté allemande.
Ainsi commence le nazisme et les atrocités qui seront mises en place par le gouvernement allemand.
Direction par objectifs : laisser les individus libres de faire le choix des moyens à exploiter
Le Führer voit les choses en grand et commence à élargir son territoire. Les territoires sous souveraineté allemande s’étendent mais le gouvernement est confronté à la nécessité d’administrer au mieux ce territoire grandissant sans proposer des moyens proportionnellement croissants : l’Allemagne n’a pas les moyens d’agrandir la fonction publique.
Pour cela, Hitler décide que ce qui ne doit pas être géré par l’unité centrale doit être décentralisé. Il donne ainsi du pouvoir à chaque pion de son gouvernement pour les responsabiliser. Chacun est soumis à des objectifs à atteindre (plus ou moins réalisables) et peut décider des moyens à mettre en œuvre pour répondre aux demandes de la hiérarchie. Les individus doivent rendre à l’Etat ce qu’il leur a donné depuis leur naissance en devenant productif (productivité accrue par l’usage des amphétamines).
Néanmoins, une importante limite apparaît. En effet, le transfert des moyens à réaliser n’entraîne pas le transfert des compétences. Des personnes non qualifiées dans la gestion se retrouve décideuses et sont rapidement dépassées par les évènements. La terreur les pousse à répondre au mieux aux ordres de leur Führer. Le gouvernement d’Hitler, loin des représentations militaires impeccablement organisées, était en réalité une catastrophique anarchie.
Des rôles mal identifiés
Le gouvernement nazi a instauré une polycratie. Celle-ci se traduit par une multiplicité d’instances décisionnelles et de pouvoir, entraînant des situations de concurrence. En effet, les rôles de chacun ne sont pas précis, et chacun se marche dessus. Un Ministère, pour répondre à ses besoins, peut empiéter sur la marge de pouvoir d’autres Ministères.
Par ailleurs, pour raccourcir les délais de traitement des conflits, des pouvoirs de répressions exorbitants ont été accordés à la police qui pouvait punir sans le contrôle d’un juge. La situation s’aggrave par ces responsabilités exacerbées et un ressenti de puissance de chacun qui pouvait agir sans s’inquiéter des conséquences.
Un gouvernement antiétatique
Le terme « Etat » est traduit comme une institution stable et statique. L’Etat donne des ordres et s’assure du bon fonctionnement d’un peuple. Hitler est contre cette idée, et dira en 1934 :
Ce n’est pas l’Etat qui nous donne des ordres mais nous qui donnons des ordres à l’Etat.
Le nazisme est donc un parti antiétatique. Fondé sur la Sélection Naturelle de Darwin, le parti considère qu’il faut éliminer les plus faibles et conserver ceux qui se démarquent et qui survivent à cette Sélection Naturelle. Pour lui, le gouvernement est un frein à ce tri naturel puisqu’il redistribue les richesses de façon à absorber les inégalités.
L’Etat n’existe plus que sur sa version remodelée par Hitler, et devient le prisonnier de ses idées et folies.
Mon avis sur l’œuvre
Cet essai est passionnant. Johann Chapoutot nous raconte les mécanismes des manipulations nazies, et c’est très enrichissant de comprendre ce qui nous semble toujours incompréhensible. Nous avons tous grandi en apprenant les horreurs que Hitler avait mises en place pour défendre ses terrifiantes idées. Mais il est toujours difficile de comprendre que son pays l’ait encouragé et s’est résigné à suivre ses manigances.
Pourtant, Hitler était suivi et ce n’était pas pour rien. Un peuple en crise économique, affamé, une population comprenant une majorité de surdiplômés, qui se retrouve dans les griffes d’un homme qui lui ouvre les voies d’une excessive liberté. En appuyant sur l’orgueil de son peuple détruit par la Grande Guerre, il a réussi à les manipuler en leur promettant l’arrivée des jours meilleurs.
Cet essai compare également ces méthodes avec celles du management d’aujourd’hui. Un management par objectif, avec la liberté pour chacun de décider des moyens à mettre en place. Source de responsabilisation des travailleurs, il peut être efficace face à des objectifs réalisables. Mais face à des objectifs inatteignables, la motivation des individus descend en chute libre. Ceci n’a pas permis de prouver la réelle efficacité de ce management. Pour s’assurer de la bonne réalisation des objectifs, l’entreprise en contrôle la réalisation par des moyens qui peuvent être douteux et qui ont fait l’objet de scandales. Un cercle vicieux, dans lequel les salariés qui se pensent libres sont finalement surcontrôlés.
Conclusion
Cet essai est court et passionnant. Je le conseille à tous les curieux, tant sur la période de la Seconde Guerre mondiale que sur le fonctionnement de nos méthodes managériales actuelles. Accessible pour ceux qui ne disposent pas de bases économiques ni managériales, ce livre nous explique très clairement les importantes limites du management mis en place lors du IIIe Reich. Des limites qui ont notamment entraîné son gouvernement à péricliter. Un moyen efficace de comprendre comment Hitler a géré son gouvernement et par quels arguments et manipulations il a pu atteindre ses terrifiants objectifs.