Madame S, Sylvie Lausberg – 2019 – Ed. Slatkine & Cie, 288 p.
Ce livre, je n’aurais jamais dû le découvrir si ça n’avait été un cadeau de mon frère et de ma belle-sœur (des sources sûres en livres). Si ça n’avait tenu qu’à moi, en le voyant dans les étals de librairies, je ne l’aurais sûrement pas vu. Mon tort ! La première de couverture un peu girly donne l’impression d’un livre léger. Pourtant provenant de Slatkine & Cie, ça m’étonne. Eh bien figurez-vous que ce livre, c’est une vraie pépite. Une explosion totale ! J’ai adoré, je me suis noyée dans l’histoire, j’ai vécu avec Mme Steinheil avec ses bonheurs et ses malheurs. Mais qui est donc cette Madame S ? Sachez que c’est une femme qui a eu sa part dans l’histoire de notre pays et que nous connaissons peu.
Sylvie Lausberg, historienne belge, nous plonge dans l’histoire de Marguerite Japy, épouse Steinheil, maîtresse de Félix Faure.
Résumé
Marguerite Japy, dite Meg, est née en 1869. Nous entendons peu parler d’elle, mais elle a été la maîtresse de Félix Faure, celle même qui l’aurait accidentellement « tué ». En effet, l’ancien Président de la République Française serait décédé le 16 février 1899 dans les bras de sa maîtresse, Meg. Mais qui était donc cette jeune femme, bourgeoise affiliée à la famille Peugeot, mariée par dépit à un peintre plus âgé qu’elle n’a jamais aimé, et qui se retrouve à l’Elysée manipulant les décisions du Président de la République ? Découvrons ici son destin tragique.
Une entrée dans le monde adulte mitigée
Marguerite Japy est née le 16 avril 1869 en Alsace. Fille d’une famille bourgeoise, elle est l’héritière d’une des entreprises françaises les plus prospères. Mais au XIXe siècle, lorsqu’on grandit dans la bourgeoisie, on ne se marie pas par amour.
Surtout lorsqu’on a une relation avec son père aussi fusionnelle. En effet, Edouard Japy, père de Marguerite, souhaite la garder pour lui. Sa douce fille. Lorsque celle-ci s’amourache d’un ami de son frère, ça ne plait pas à « papa ». Après une grande dispute au sujet de son bien-aimé, Marguerite part se réfugier à Bayonne. Elle apprendra le décès de son père peu de temps après.
Elle finira par épouser le peintre Adolphe Steinheil, né en 1850. Il a dix-neuf ans de plus qu’elle. Elle ne l’aimera pas, voudra divorcer à plusieurs reprises, mais ne s’y résoudra pas. Le destin de cet homme est tragique. Il est retrouvé assassiné par des cambrioleurs, à côté de sa femme ligotée sur le lit. Cette nuit d’enfer emportera également la mère de Meg. Mais comment a-t-elle pu en arriver là ?
Sur fond de l’affaire Dreyfus
L’affaire Dreyfus est partout, bien évidemment. Une des plus importantes histoires politiques à laquelle sera soumis notre pays. Et c’est à Félix Faure de répondre à son rôle de Président. Tout part d’une accusation de trahison envers le capitaine juif Alfred Dreyfus, qui aurait transmis des informations confidentielles à l’Allemagne.
Cet homme, accusé d’une trahison qu’il n’a pas commis et qui a été comploté à l’aide de faux documents (assez rapidement identifiés comme tel d’ailleurs), a vécu plusieurs années au bagne. Cette affaire nous la connaissons aujourd’hui, nous l’apprenons à l’école. C’est le début d’un antisémitisme qui mènera nos nations à la guerre.
L’important ici est également le rôle que Félix Faure a joué dans l’affaire. Alors que son pays se divise entre les Dreyfusards (qui soutiennent l’accusé, notons le célèbre « J’accuse » de Zola, bien évidemment) et les anti-Dreyfusards, Félix Faure doit répondre à son rôle de chef de la nation.
A l’époque, Félix Faure a pour maîtresse une femme surnommée Gyp, anti-Dreyfusarde, elle influence (sûrement ?) les décisions du Président qui laissera l’acharnement public se répandre sur le capitaine. Alors qu’il commence à fréquenter Meg, son avis s’adoucit. Néanmoins, la libération de Dreyfus devra attendre le décès du Président et l’arrivée au pouvoir d’Emile Loubet qui le graciera le 19 septembre 1899.
Une histoire d’amour aux contours flous
Sylvie Lausberg est historienne. Son récit s’est basé sur de nombreux ouvrages et archives. Le principal est le récit des Mémoires de Marguerite Steinheil qu’elle a rédigés à la fin de sa vie. Malgré ceux-là, il est difficile de déterminer quand est-ce qu’elle a réellement rencontré le Président et quand leur liaison a réellement débuté.
Une chose est certaine, Meg est heureuse, le Président l’estime et la protège, il lui donne un accès informel au pouvoir. Elle qui est malheureuse avec son mari, elle retrouve le sourire dans les bras de son Président.
Il faut dire qu’il va bien la gâter avec des cadeaux dont des bijoux qu’il ramènera de ses voyages en Russie. C’est ici que la situation commence à se complexifier pour Meg. Tout aurait pu bien se passer si le Président n’était pas décédé, si elle avait bénéficié de sa protection plus longtemps.
Un collier. On ne sait pas vraiment d’où il vient, mais il possède cinq rangs de perles. Une beauté. Une chose est certaine, c’est que le Président ne veut pas le récupérer, il s’inquiète lorsqu’elle refuse le cadeau, il veut qu’elle le garde. Tout commence par un collier, qui nous fait sourire et penser au tragique destin de Marie Antoinette et son affaire du collier, et se termine bien tragiquement.
Également, des documents. Félix Faure souhaite que Meg rédige ses Mémoires. Il lui confie des documents secrets qui ne sont pas en sécurité à l’Elysée. Ensemble, ils s’attellent à la rédaction d’un récit qui ne sortira jamais. Ces documents, jamais nous n’avons pu les retrouver.
Quant à la liaison de Meg, elle se termine comme nous le savons. Le Président décède après une de leurs entrevues. Certains disent qu’il est décédé dans ses bras après un rapport sexuel. Les Mémoires de Meg ne nous le disent pas vraiment, mais l’habitude du président à consommer des pilules pour se détendre semble être la cause première de son décès.
Un collier, des documents confidentiels et des embrouilles à la chaîne
Meg ne doit plus venir à l’Elysée, elle ne peut plus s’y rendre et de toute manière sa seule raison d’y aller n’existe plus. Elle perd l’homme de sa vie, son protecteur, son accès au pouvoir, sa lumière. Sans protection, elle n’a d’autre choix que de rester avec son mari, qu’elle voudra quitter mais ne saura s’y résigner.
Les documents du Président, Meg les a cachés parce que Monsieur Steinheil devenait trop indiscret. Ils n’étaient plus en sécurité. Et puis un homme, d’origine allemande, vient chez eux. Il veut récupérer le fameux collier. Toute l’affaire éclate dans le couple des Steinheil, qui tentent tant bien que mal de se sortir de ce pétrin.
Et puis un jour, en pleine nuit, les Steinheil sont cambriolés. Le mari et la mère de Meg sont assassinés. Elle, elle survit, ligotée sur le lit. Pourquoi ces cambrioleurs étaient-ils venus ? Pour le collier ? Pour les documents ? Ont-ils bénéficié de l’aide de Meg ? Serait-elle complice ?
Cette dernière question deviendra l’hypothèse principale suivie par la police, qui finira par l’accuser et l’enfermera à la prison de Saint-Lazare. Elle en sortira avec peine, après s’être battue pour sa liberté. Une liberté au goût amer, en exil en Angleterre, où sa fille la rejoindra avant de décèder avant elle, la laissant finir sa vie dans la solitude.
Mon avis sur l’œuvre
Je ne le répèterais jamais assez, mais quelle pépite ! Quelle œuvre, quelle écriture, quels tourments dans lesquels nous sommes plongés. J’ai rapidement fait le lien entre La Petite Femelle de Jaenada et Madame S. Sous des airs d’enquête policière, nous sommes emmenés dans les dessous du pouvoir présidentielle, de la bourgeoisie du dix-neuvième siècle, de la tragédie d’un destin saccagé.
L’écrivaine a fait ici un travail épatant car même dans les instants de doute sur la véracité de l’histoire de Meg, nous sommes convaincus et nous n’avons pas de frustrations. Meg ne nous dit pas où sont les papiers du Président Félix Faure ? Toute personne curieuse mourrait d’envie de savoir où ils sont. Eh non, on ne sait pas. Eh bien, figurez-vous que ce n’est pas grave ! Toute l’histoire a son sens, elle nous berce, nous fait voyager dans les dessous de l’histoire de notre pays, une merveille.
Je ne connaissais pas du tout Sylvie Lausberg et je suis étonnée de ne pas avoir entendu parler de son livre plus tôt. C’est à grand regret d’ailleurs ! Il faut en entendre parler, il faut le lire et le dévorer. Il ne faut surtout pas le laisser s’échapper. Et j’appuie sur le fait qu’il ne faut pas se fier aux apparences. La couverture aux airs girly et légers (qui ne rend pas moins la couverture très belle) est loin de la puissance réelle de cet écrit.
J’adore. C’est tout, j’ai adoré.
Conclusion
Dans Madame S, nous sommes engloutis dans le destin tragique d’une des maîtresses présidentielles les plus célèbres de l’histoire de notre pays, celle qui aurait entraîné involontairement la mort de Félix Faure. Mais outre cette histoire qui nous soulève un sourire, Marguerite Steinheil dispose de toute une histoire à nous raconter, un destin tragique supporté par une femme incroyablement solide et intelligente.
Merci à Sylvie Lausberg de m’avoir régalée avec cette œuvre pour laquelle le travail de recherche effectué a mérité chaque minute de lecture.