Voyou, Itamar Orlev – 2018 – Ed. Points, 516 p.
20-12
L’aventure du Prix du Meilleur Roman des Editions Points de 2020 touche doucement à sa fin. Voici donc l’avant-dernière sélection. Je ne connaissais pas Itamar Orlev, et c’est effectivement dans ces situations que l’aventure du PMR est géniale ! La découverte de nouveaux auteurs durant ces sept derniers mois a été géniale, j’ai eu des coups de cœur et je conserve certains écrivains dans ma ligne de mire (quoique j’ai également connu des déceptions). Orlev est né à Jérusalem. Il nous dresse, dans Voyou, un voyage à travers les secrets de famille Tadek, son personnage principal polonais qui vit à Jérusalem. Des relations familiales compliquées et un personnage qui cherche à découvrir qui il est vraiment. C’est un voyage émouvant à travers une famille brisée qui nous est livrée ici.
Résumé
Tadek vient d’être largué par sa femme. Une histoire qui s’est peu à peu brisée. Elle le quitte et part avec leur fils. Tout d’abord c’est un électrochoc, la solitude le prend et réveille ses angoisses. Habitant à Jérusalem, il repense à son enfance Polonaise et à son père qu’il n’a pas vu depuis très longtemps. Cet homme, violent et alcoolique, leur en a fait voir de toutes les couleurs à lui, son frère, ses deux sœurs et leur mère. Ancien combattant et alcoolique, miné par des souvenirs de guerre qui le hantent, il a été abandonné par sa femme qui a décidé un jour de quitter le pays, l’y laissant seul face à ses démons. Ensuite Tadek décide plus de vingt après de retrouver son père pour chercher des réponses à ses questions.
Un homme brisé
Tadek est un écrivain. Du moins, comme il dit, « j’essaie d’être écrivain ». Sa femme le lui reproche. Il n’écrit pas, ne rapporte pas d’argent. C’est comme s’il se la coulait douce pendant qu’elle tentait de tenir les deux bouts.
Ainsi nous découvrons Tadek, dans cet environnement, quitté par sa femme qui ne le supporte plus. La rupture entraîne un changement radical de son milieu, les angoisses montent et la solitude est plus difficile à supporter qu’il ne l’imaginait. Alors il se met à penser. A lui, à son enfance, à son père.
Tadek a deux sœurs, Anka et Ola, et un frère, Robert. Ils ont tous quitté Jérusalem une fois adultes, seul Tadek y est resté. Ensemble, ils ont supporté une enfance difficile et ont grandi dans la pauvreté. En effet, dans ce pays qui tentait de se reconstruire après la Seconde Guerre mondiale, la violence, la précarité, les meurtres, les bandes organisées et les beuveries ont bercés leur monde d’enfants.
Leurs parents sont des personnages peu appréciables. Prenons tout d’abord le père. Cet ancien combattant a sûrement supporté d’atroces souffrances et les souvenirs de la guerre le hantent. Il est violent tant avec sa femme qu’avec ses enfants qu’il bat avec acharnement. Cette violence apparaît lorsqu’il est soule, principalement. C’est-à-dire tous les soirs.
Quant à la mère, elle présente l’image d’une femme froide, distante, probablement peu maternelle. Inexistants sont les souvenirs de tendresse que Tadek garde de sa mère. Néanmoins, elle reste une femme forte et fière. Sous les coups de son mari, elle se tait. Elle ne crie pas, elle ne pleure pas, elle accepte sa sentence et sa souffrance en silence pour ne pas alerter ses voisins ni traumatiser ses enfants. Un jour, alors que tout devient trop difficile à supporter, elle part, quitte la Pologne et rejoint Jérusalem avec ses quatre enfants.
Le retour en Pologne
Tadek retrouve la maison de retraite dans laquelle sa sœur a placé leur père. Il annonce à sa mère qu’il part et qu’il va lui rendre visite. Tout le monde est du même avis à ce sujet : Tadek sera déçu de son voyage.
Il retrouve ainsi son père. Cet homme frêle, désormais peu énergique, tiré par la vieillesse, est presque attendrissant. Sa première réaction est très émouvante. En effet, il s’émerveille de la présence de son fils qu’il n’a pas vu depuis si longtemps, l’appelle son « Tadzio ». L’amour qu’il semble lui porter secoue Tadek, une tendresse qu’il n’avait jamais eue, un regard attendri que son père n’avait jamais porté. Il réclame que Tadek lui raconte des souvenirs. Ils vont se retrouver à faire un grand parcours à travers le passé de son père.
C’est ici que la situation se corse. Tadek retrouve rapidement le regard violent, fermé que son père a toujours eu. Les anecdotes arrivent, les règlements de compte apparaissent. Aucun regret n’est porté par cet homme qui a fait subir un enfer à sa famille. Pourtant, il sait qu’il a été une ordure. Mais tout ceci n’est que le reflet d’une vie insupportable, d’un fardeau et d’une douleur qu’il porte sur ses épaules depuis la guerre et qui, selon lui, peuvent l’excuser. Nous entrons donc dans le passé difficile, violent, sans pitié d’un jeune homme qui a supporté les pires atrocités de la guerre.
Mon avis sur l’œuvre
Itamar Orlev est une très belle découverte. Son style littéraire (et très bien retranscrit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz) est fluide et très prenant. Il narre le parcours passionnant d’une vie pleine d’embuches, qui facilement nous emporte.
Tadek est un personnage auquel nous nous attachons rapidement. Souffrant des multiples sévices que son père lui a fait subir durant son enfance, il se bat pour être quelqu’un de bien et ne pas devenir le reflet de son père. A compter du moment où il retourne en Pologne, ses sentiments (ainsi que ceux du lecteur) sont secoués dans tous les sens.
Il est convaincu qu’il trouvera en Pologne les réponses qu’il cherche sur lui-même, et il n’a pas complètement tort. Son père est un personnage à la fois détestable et attachant. Détestable dans un premier temps, car nous le découvrons sous les yeux de son fils. Un homme violent, qui terrorise tant sa famille que ses proches.
Néanmoins, dans ce voyage à travers le temps, nous découvrons une partie de sa terrible histoire et il gagne un peu notre sympathie, notre pitié. Cette vie, celle d’un combattant de guerre, qui se retrouve violenté puis enfermé aux camps de Majdanek, qui ensuite s’enfuit dans d’atroces conditions n par les tuyauteries. Les violences qu’il a subies nous font frissonner, font monter en nous la colère, la haine de cette Seconde Guerre mondiale. Il nous raconte la perte de ses proches combattants, leurs morts dans des conditions déplorables. Des situations qui nous déchirent le cœur, et qui déchirent l’esprit de celui qui a été obligé de les subir.
Et toute la question est là : Pouvons-nous pardonner un homme qui a tant supporté, tant souffert pour les violences qu’il fait subir à ses proches ? Si non, du moins pouvons-nous comprendre son comportement ? Celui d’un individu dont la conscience a complètement été fauchée par la vie ? Nous comprenons le désarroi dans lequel se situe Tadek, partagé entre la volonté de pardonner à un homme si important dans sa vie, et la colère insatiable qu’il traîne en lui et l’empêche de lui conférer son pardon.
Conclusion
Ce livre est un condensé de sentiments et de questionnements. L’histoire est difficile, il est évident qu’elle n’est pas catégorisée dans le histoires « feel good » ! Nous suivons le cheminement de ce fils perdu qui essaie de comprendre ce qu’il veut faire de sa relation avec son père. Peut-il lui pardonner pour les années de terreurs qu’il a subies par sa faute ? Une histoire très émouvante qui nous apprend beaucoup sur la situation de la Pologne pendant la guerre.